En temps ordinaire, les Japonaises font partie des plus belles femmes au monde. Or Anna Saeki est au-dessus du lot. On ne peut pas dire qu’elle ait volé son titre de Miss Sapporo en 1987 ou qu’elle l’ait trouvé dans une pochette surprise ! Nous avons eu la chance d’être placé au premier rang, parmi les VIP de la MCJP, et avons pu la contempler d’assez près pour vérifier sa vénusté de visu. La jeune femme, vêtue en première partie d’une robe violette à ailettes frangées fixées aux poignets lui dénudant l’épaule gauche et, en deuxième mi-temps, d’une sobre robe plissée couleur crème brodée d’argent, a la peau opale, délicate, lactescente. Son visage à l’ovale idéal s’anime lorsqu’il s’offre de profil grâce à la légère inclinaison d’un nez mutin et spirituel. La voix est adoucie, feutrée par le léger effet d’écho de la sono. Miss Sapporo sait doser les nuances, l’intensité et l’âpreté du chant porteño. Elle est juste, à l’aise, retombe sur ses pieds, au bon endroit, au bon moment, y compris dans des compositions aux discordances bartokiennes délibérées de Piazzolla comme « Chiquilín de Bachín » ou « Balada para mi muerte ».
Par son charme éternel, son élégance d’autrefois, sa photogénie de l’instant présent, la chanteuse fait passer aux oubliettes le côté kitsch qui menace toute entreprise de « fusion ». Un peu plus solennelle que l’an dernier – il faut dire que le public de la MCJP nous a paru réservé, quasiment sibérien –, la diva a évité toute faute de goût – on n’a pas eu la chorégraphie discutable de son groupe de groupies mais, de temps à autre, tout de même, des éléments d’une gestuelle stylisée à force de travail et une pantomime expressive, voire expressionniste, sur le standard de Piazzolla, « Balada para un loco ».
Elle passe avec aisance d’une langue – et d’un timbre – à l’autre : du castillan chantant et chuintant d’Amérique au japonais natal, aigu et atonal. On sait que pour préserver la qualité de sa phonation, Anna Saeki boit du thé de soja noir d’Hokkaido et avale des prunes salées ainsi que des nèfles trempées dans du miel.
En prologue au show, on a eu droit à la projection d’un clip vidéo tourné à Buenos Aires où Anna Saeki interprète un titre du répertoire folk, un duo en forme d’hommage à la grande figure de la « Nouvelle chanson » ou de la « protest song » argentine, Mercedes Sosa. « La Cumparsita », marche composée en 1916 par Gerardo Hernán Matos Rodriguez, enrichie en 1924 par les lyrics d’Enrique Maroni et Pascual Contursi, titre qui est devenu synonyme du tango, a débuté réellement la soirée de gala. Après deux milongas, l’une, « Sin palabras », traditionnelle, l’autre, « Ché, Bandoneon » plus moderniste, la chanteuse a fait un clin d’œil à la France, en s’appropriant le « Parlez-moi d’amour » écrit par Jean Lenoir et immortalisé par Lucienne Boyer.
Le quintette « El Después » (Victor Hugo Villena au bandonéon, Alejandro Schwarz à la guitare, Cyril Garac au violon, Ivo De Greef au piano, Bernard Lanaspèze à la contrebasse), devenu sextette par l’adjonction du percussionniste Javier Estrella, est très efficient dans toute la gamme stylistique tanguera. Il gagne en profondeur, en amplitude, en scansion, également en richesse harmonique lorsqu’il expose des arrangements contemporains qui nous ont paru définitifs.
Anna Saeki a fait l’objet de rappels et a quitté la scène sur une milonga des années 40 à la joie communicative, « Azabache » signée Enrique Francini et Homero Espósito.
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